Rendu sémiotique

Marine Hanifa-Jacquet et Lucile Vaillant

Débat de l’entre-deux tour de 2017

Introduction :

La vidéo que nous avons choisi d’analyser est un replay du débat opposant les deux candidats au deuxième tour des élections présidentielles françaises de 2017 : Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Ce débat a duré 2h30 et a été regardé par 16,5 millions de téléspectateurs, ce qui s’avère être la plus faible audience d’un débat d’entre-tour depuis le débat de 1974.

Le replay de ce débat est disponible sur la chaîne Youtube de LCI.

Ce débat a été réalisé par Tristan Carné et s’est déroulé le 3 mai 2017 à 21h dans les studios d’enregistrement télévisés de la Plaine-Saint-Denis en Seine-Saint-Denis. Il a été diffusé en direct sur plusieurs chaînes télévisées : TF1, France 2, BFM TV, LCI, France Info et La Chaîne Parlementaire ; et plusieurs radios : RTL, France Inter, France Info, Europe 1 et RFI. Il a également été diffusé en différé sur TV5 Monde et France 24.

Les présentateurs désignés pour présenter ce débat sont Christophe Jakubyszyn et Nathalie Saint-Cricq. 

Initialement diffusé à la télévision et la radio, le débat a circulé et changé de supports à maintes reprises. En effet, des extraits ont été repris et ont circulé sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, Youtube), détournant parfois les propos des candidats. Certains utilisateurs ont notamment créés des parodies et des mèmes à partir de certains propos et certaines réactions des candidats et des présentateurs. Cette circulation et ces détournements ont eu un impact sur l’image des candidats, l’évocation de l’expression « poudre de perlimpinpin » par Emmanuel Macron a été vivement parodiée sur les réseaux sociaux, décrédibilisant son image de candidat à la présidentielle.

Ce débat s’adressait aux citoyens français, pour permettre aux candidats de se démarquer à 4 jours du second tour et ainsi convaincre les citoyens votants d’élire leur parti plutôt que celui de l’opposant. 

Ce débat est aujourd’hui disponible sur plusieurs plateformes de rediffusion et a fait l’objet d’analyses et de critiques par plusieurs médias européens, chaînes, radio et journaux. Il a notamment été qualifié de « pire débat télévisé de l’histoire de la Vème République » par le quotidien allemand Die Welt.

Nous avons choisi d’étudier l’ouverture du débat (de 1 minute 47 secondes à 3 minutes 44 secondes) car nous avons trouvé intéressant d’analyser la mise en place du débat politique, du décor, du placement des candidats et de l’instauration des règles à respecter par les présentateurs, au delà de la confrontation des candidats.

De quelle manière le débat présidentiel de l’entre-deux tour de 2017 nous montre-t-il une confrontation qui se veut à l’origine extrêmement mesurée et précise ?

  1. Mise en scène et mise en place du débat : une organisation précise

Le débat se base sur une mise en scène très calculée. C’est Tristan Carné, le réalisateur du débat qui supervise cette scénographie.

En effet, l’émission télévisuelle est filmée très précisément. On imagine facilement qu’une grosse équipe de tournage travaille derrière l’écran.

Il y a plusieurs plans et cadrages différents. Les caméramans essaient de mettre à stricte égalité Marine Le Pen et Emmanuel Macron en veillant à les filmer de la même manière : en général, quand un des candidats parlent, la caméra se focalise entièrement sur lui, cette équité parfaite des plans des adversaires rejoint celle du découpage de la parole. Le réalisateur parle même de « plan d’écoute ». Le premier plan du débat est un plan large où on voit le plateau télévisé entièrement : on visualise ainsi où sont placés les candidats et ce que cela signifie.

Cependant, une nouveauté a lieu dans la charte de réalisation pour ce débat et tous ceux qui suivront : la règle stricte qui dictait que les réalisateurs n’avaient le droit de filmer que le candidat qui parlait et avait interdiction de couper sa parole par un plan de son adversaire en train de l’écouter a pris fin pour cette occasion. Ainsi, Tristan Carné peut réaliser des plans de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron lorsque l’un des deux écoute son adversaire mais avec modération.

Chacun des candidats a d’ailleurs désigné un réalisateur-conseil qui surveillera la réalisation de M. Carné. M. Macron a nommé Jérôme Ledoux, qui a filmé tous ses meetings, et Mme Le Pen a mandaté Sébastien Chenu, délégué national du Rassemblement Bleu Marine et responsable du collectif CLIC (Culture libertés et création) au sein du FN.

L’organisation du plateau du débat télévisé est millimétrée. Le placement des personnages est révélateur de l’enjeu du débat : il s’agit d’une confrontation entre deux candidats aux présidentielles qui doivent marquer le plus de points auprès du public, c’est-à-dire le peuple électeur. Effectivement, Madame Le Pen et Monsieur Macron sont face à face, d’un bout à l’autre de la table de débat. De plus, les présentateurs sont au centre de la table, tels des arbitres. Leur placement est stratégique, ils se situent au milieu du plateau et de l’écran lorsque le plan de la caméra est large. Leur position montre bien la neutralité des présentateurs face aux deux candidats des présidentiels : ils arbitrent un match.

Le plateau télévisé a été agencé d’une certaine manière, rien n’est laissé au hasard. La décoration symbolise l’importance du débat : l’arrière-plan laisse apercevoir un écran avec la façade de l’Elysée, le logo du générique “2017 le débat” est coloré en doré et souligné avec les couleurs du drapeau de la République française (bleu, blanc, rouge). Chaque détail est pensé, chaque détail compte : le débat est truffé de symboles de la Présidence et de la France.

La périodicité de cette émission télévisée est fixe. Le temps et l’heure sont précis : le débat commence à 21 heures et sa durée est de 2 heures. Le rôle du temps est encore plus important dans un débat chronométré : l’heure est à respecter, les temps de parole égaux également. Les présentateurs vont à plusieurs reprises faire des remarques sur le temps avant et pendant le débat : « à 10 secondes du débat », « il est 21 heures dans quelques instants », « le débat durera 2 heures », « il faut respecter le temps de parole ». On observe d’ailleurs un chronomètre en-dessous des candidats, que les caméramans filment régulièrement afin que le public se rende compte des temps de parole de chacun des candidats et donc de l’évolution du dialogue. L’émission est en direct : nous sommes en immersion dans le temps du réel.

La présentation des présentateurs est faite à l’aide d’intitulés en bas de l’écran, intitulés qui respectent encore une fois la charte graphique du reste du débat car les couleurs sont les mêmes, c’est-à-dire bleu, blanc et rouge. 

Un sommaire est fait oralement par un des présentateurs des thèmes qui vont être abordés : “économie, terrorisme, éducation et l’Europe”. On a donc une présentation du déroulement du débat.

2. Des règles incarnées par la figure des présentateurs : un rôle primordial

Les présentateurs Gilles Bouleau et David Pujadas, travaillant respectivement pour TF1 et France 2 étaient initialement sollicités pour présenter ce débat, cependant le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) exige un duo de présentateurs mixte par souci de parité. Il s’agit de Christophe Jakubyszyn, le responsable du service politique de TF1-LCI et Nathalie Saint-Cricq, la cheffe du service politique de France 2. La présentatrice de TF1 Anne-Claire Coudray, s’est vue refusée de présenter le débat, jugée par le Front National de supporter d’avantage Emmanuel Macron, ce qui souligne la nécessité de neutralité de la part des présentateurs lors de débats politiques. 

Les règles du débat sont rappelées dès le début par les présentateurs. Elles sont négociées.

Ainsi, le rôle des présentateurs est très important, ils ne sont pas partisans d’une position mais ils sont neutres vis-à-vis des règles. Ils les régissent, gèrent les temps de parole, distribuent équitablement la parole aux deux candidats qui s’affrontent, se confrontent verbalement. On peut donc dire qu’ils ont un rôle de médiateur.

Les présentateurs rappellent d’ailleurs explicitement leur propre rôle : « notre rôle sera de veiller sur la stricte égalité du temps de parole et également à l’équité de vos échanges ». De plus, ils procèdent à une présentation des règles, très officielle en s’adressant au public avant le commencement du débat. On comprend donc que le principe même sur lequel repose le débat est le respect le plus total de l’égalité du temps de parole. Les candidats doivent se conformer aux règles afin qu’ils disposent d’un temps de parole égal pour répondre aux questions et expliquer leur projet aux électeurs face à leur télévision.

Le respect des règles commence dès le début. En effet, un des présentateurs explique qu’un tirage au sort a élu Marine Le Pen pour commencer, le souci d’égalité est absolu. Alors, une première question est posée par le présentateur, il donne ensuite la parole à Marine Le Pen qui commence à parler.

On observe une fluidité au début de l’émission, ce qui va contraster avec la suite du débat, car au moment de l’extrait, les candidats n’ont pas encore la parole, ou commence juste à l’avoir (pour Marine Le Pen) : le débat vient à peine de commencer. C’est un moment particulier du débat car tout est très organisé et précis, c’est la seule partie du débat prévisible et répétée. Il ne s’agit pas encore du moment de l’improvisation. Pendant l’introduction du débat, les candidats sont encore à égalité, ils n’ont pas encore parlé donc leur compteur de temps sont chacun à 0, ce sera l’unique moment de l’émission où les candidats seront comparables et équivalents. Cet extrait se démarque alors du reste du débat.

Ainsi, on comprend que le souci de stricte égalité va être la base et l’enjeu même du débat présidentiel. Cette équité est rappelée oralement, visuellement, explicitement et implicitement. Cette égalité est le fondement du règlement du débat. Les présentateurs incarnent cette égalité : lors de l’introduction du débat leur parole est répartie équitablement et la parité est aussi respectée. Les présentateurs semblent donc servir de modèles.

3.  Le rôle des candidats dans la confrontation : des règles à respecter et une image à préserver

L’objectif de ce débat pour les candidats est de pouvoir se démarquer de leur concurrent et ainsi obtenir le plus de voies en leur faveur lors du second tour.

Pour y parvenir, les candidats doivent présenter la meilleure image d’eux et formuler les objectifs de leur programme politique. Ils s’engagent à être aptes à représenter la France pour un mandat de 7 ans, leur rôle est donc de convaincre les citoyens français de la fiabilité de leur programme par la parole lors de ce débat. Leur objectif est d’influencer les choix des français.

Le placement des candidats accentue l’idée de confrontation, ils sont assis face à face, chacun en bout de table, séparés par les présentateurs.

Le débat étant diffusé en direct, il n’y a pas de montages ni de scènes coupées ce qui oblige les candidats à savoir réagir immédiatement aux questions des présentateurs et aux réponses de l’adversaire. Ici, leur capacité d’adaptation et de gestion de leurs réactions est primordiale. Ils doivent également être capables d’affronter leur adversaire sans faire usage d’agressivité, ce qui va être par la suite vivement critiqué par le public car il jugera l’attitude de Marine Le Pen peu exemplaire à ce sujet.

Les opposants doivent respecter les règles imposées par les présentateurs pour assurer le bon déroulement du débat. Ainsi, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ne doivent pas se couper la parole et disposent d’un temps de parole égal par souci d’équité.

Le respect de ces règles par les candidats montre une fois de plus à quel point ce débat se veut extrêmement précis et calculé. Si elles ne sont pas respectées, le débat ne serait plus contrôlé.

Dans l’extrait étudié, Christophe Jakubyszyn donne la parole à Marine Le Pen, tirée au sort pour ouvrir le débat. Les règles sont respectées, son opposant, Emmanuel Macron la laisse répondre sans lui couper la parole. On verra cependant dans la suite du débat que cette règle ne sera pas toujours respectée. En effet, les deux candidats se couperont maintes fois la parole, ce qui nécessitera l’intervention des présentateurs pour apaiser le ton du débat et rappeler les règles à respecter. On peut donc voir qu’il sera parfois difficile de cadrer ce débat dont la mise en scène se voulait pourtant initialement précise et millimétrée.

Le ton d’entrée de la candidate sera vivement critiquée par les médias qui le jugeront trop agressif à l’égard de son adversaire. En effet, elle ouvre le débat en attaquant Emmanuel Macron et dépeignant les défauts de son programme politique et de sa vision de la France. Son agressivité suscitera chez les français certains doutes sur ses capacités présidentielles ce qui dissuadera certains à voter pour le Front National.

4. Le rôle du public : un débat pour le peuple, but du débat, opinion publique

Ce débat s’adresse directement aux Français pour leur permettre de départager les deux candidats à l’élection présidentielle. Au début de l’extrait, avant même le commencement du débat, le présentateur Christophe Jakubyszyn s’adresse au public « Bonsoir à tous ». Les présentateurs sont tournés face à la caméra, ils s’adressent à elle, soit aux téléspectateurs, aux Français. Le public a ici un rôle de spectateur, de juge, de décisionnaire. Il n’est pas présent sur le plateau mais c’est à eux que ce débat est destiné : le débat a lieu pour le peuple, pour lui permettre de se forger une opinion. Ce sont les citoyens français votants qui vont choisir le candidat le plus apte à succéder à François Hollande. Ainsi, le débat concerne un très large public, une très large audience avec un audimat de 16,5 millions de téléspectateurs.

Pour s’adapter au public et permettre à tous de comprendre ce débat présidentiel, le présentateur Christophe Jakubyszyn indique qu’il est possible de le suivre en version sous-titrée sur TF1, France 2, LCI et FranceInfo, et en langage des signes sur FranceInfo et sur le site Internet de LCI.

Au-delà du débat télévisé, le public a pu interagir sur les réseaux sociaux. Ils seront très nombreux à réagir sur Twitter et Facebook, plateformes sur lesquelles a été rediffusé le débat. L’opinion publique a ici la parole.

Ce débat d’entre-deux tour aura influencé les votes des français. Les électeurs indécis auraient eu tendance à ne pas voter pour le Front National suite à ce débat, déçus du manque de préparation en amont de la candidate et de l’insuffisance des réponses sur son programme politique. Il aurait également influencé les choix du public pour les élections législatives qui se sont déroulées le mois suivant.

Conclusion :

Le débat présidentiel de 2017 de l’entre-deux tour est une sorte de cérémonie télévisuelle qui appartient à la catégorie confrontation. En effet, le débat est un face à face en direct, absolument organisé, chronométré ainsi que réglementé dans le but de réaliser la meilleure performance pour « remporter le débat », donc les élections. L’objectif est de donner au mieux une bonne impression au public, aux téléspectateurs, c’est-à-dire le peuple qui a pour devoir de voter. Ce débat a suscité de nombreuses critiques.

L’extrait que nous avons choisi nous montre une émission ordonnée où chaque détail est pensé, et détient un rôle. Cependant, la suite du débat montre les limites des règles qui ont été imposées. Le rôle autoritaire des présentateurs est remis en question. On voit la figure symbolique des deux candidats ne respectant pas les règles alors qu’ils sont censés incarner des modèles pour les Français : ils se coupent la parole, ne respectent pas le rappel à l’ordre des deux présentateurs, oublient les règles pourtant fondatrices du débat télévisé.

Enfin, de nos jours, Internet transforme la temporalité du débat car on peut le regarder après sa diffusion officielle en direct. Le débat est programmé de manière à ce qu’il soit en direct. Aujourd’hui, il y a beaucoup de reprises du débat, notamment avec les réseaux sociaux actuels car on a la possibilité de visionner le débat à plusieurs reprises, de le commenter, de la critiquer, de le parodier, en y ayant accès des années après sa diffusion : tout cela remet en question la périodicité de cette confrontation télévisée qui se veut fixe à l’origine.

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